Kafkaïen

Publié le par Marie

A tout ceux qui ont lu ou liront Kafka, je dédie cet article et les supplie de venir en Inde, où le génie de Franz se mesure dans chaque pas à chaque seconde.

Exercice de Terminale, Littéraire bien sur, pour nous faire comprendre la mécanique de Kafka. Après lecture et analyse comparée du Procès, nous devions rendre un travail d'écriture sur le thème "Kafkaïen". Travail brillamment réalisé puisqu'il nous vallu un 20/20 à ma collègue et à moi-même, rendu sous forme de pièce de théatre, filmée par notre vénéré prof de philo.
Histoire sans queue ni tête d'un homme et d'une femme, rongés par la culpabilité, le sentiment d'inferiorité, la domination, étouffés par la société Moderne, et finalement pris par la Mort dans le grand cycle de l'Humanité. Bonne petite pièce mais qui finalement n'est rien comparée à la vie indienne.

Voilà, si je devais refaire cet exercice, je placerais l'action en Inde, et je n'aurais certainement pas 20, du fait que je n'aurais rien inventé...

                             

Mon personnage, appelons le "K", (parce que c'est le personnage de Kafka, parce que c'est mon pseudo, et oui, "le K"), se réveillerait un matin. Non pas comme dans La Métamorphose, avec un corps de cafard, mais il y aura aussi des cafards dans mon histoire.
K est brutalement réveillé, étouffé dans son sommeil matinale par une écrasante chaleur. L'air de sa chambre est soudain devenu pesant, il est trempé de sueur et émerge difficilement d'une nuit commencée tard la veille à cause de cette même température harassante. Il comprend difficilement que son ventilo est éteint et que la clim est coupée, à cause d'une panne de courant. Vu l'état d'humidité avancée de ses draps, il estime le début de la panne à une demi-heure. Il ne peut plus se rendormir, en vain. K se lève et se dirige vers la cuisine. Il comprend au bout de 10 minutes que son eau pour le thé ne bouillira pas ce matin, il avait oublié que son ventilo était relié au même générateur que la bouilloire et que pas d'éléctricité, ca veut dire qu'on ne peut rien faire: pas la cuisine, pas de radio, pas de ventilo, pas de machine à laver. rien. 
K prend une douche, froide car pas de chauffe-eau non plus, et part au travail.

La machine superieure qui entraine les gens et les choses dans une trajectoire finie à l'échelle de l'Homme mais infinie pour l'Humanité commence dès le matin en Inde, mais ces considérations philosophiques n'atteignent pas notre personnage qui est bien trop occupé à déverouiller le cadenas du portail.
Cela fait plusieurs fois déjà qu'il a demandé à son propriétaire de le changer, et que  d'ailleurs, s'il l'avait fait plus tôt cela aurait évité des dégâts. On se souviendra ici d'une soirée qui finit allongée sur le portail déchaussé du mur, obligés d'escalader cette barrière suite au blocage du cadenas...

K se retrouve dans la rue.
(au choix): K prend sa moto ou K part en rikshaw. Dans les deux cas il va affronter la circulation indienne, source de tensions pour l'occidental qu'il est, habitué aux francs embouteillages pleins de politesse et de tranquillité du périph parisien, ou la foule tendue mais avenante du RER A passant par la Défense un lundi matin à 9h. Et oui, son passé francais n'est constitué que de souvenirs agréables de métro et d'heure de pointe, comparés à l'enfer de la route qu'il subit deux fois (minimum) par jour dans son nouveau pays.
K doit alors lutter contre les routes déglinguées, les feux rouges décalés, les 4x4 énervés, les rikschaws bourrés, les vélos inconscients et les vaches dictatrices.
Alors commencent les aberrations que K, petit être bien trop faible, ne peut envisager d'une manière raisonnable.
Bien que le marquage au sol indique deux voies de circulation, K peut constater que velos, moto et voiture défile sur 4,5 voies; pas plus car après il y a le trottoir. Au feu, les moto se faufilent entre les voitures et de ce fait se retrouvent cinq mètres après le feu, en plein milieu de la route. Il y a souvent un décompte pour le passage au vert et les automobilistes klaxonnent au -1 seconde, on sait jamais...
Si K est une fille il va avoir plus de difficultés à se déplacer. Les autres conducteurs seront plus occupés à regarder K, qu'à avancer. Ce qui causera bouchons et klaxons intempestifs.
La priorité sur la route en Inde dépend de: La taille du véhicule, le nombre de roues (voies souvent interdit aux 3 roues ?!...les rikshaws) le contenu du véhicule (K ne fait pas trop le malin derrière les "hautement inflammables" qui fuient), la puissance du klaxon (K n'a pas de klaxon qui fonctionne) et surtout de la taille de la moustache. Si si.
(Autant dire ici, que la figure du père, qui hantait Franz, se retrouve dans cette hierarchie indienne où la domination s'effectue visuellement par le nombre de poils sur-labiaux...  Nous sommes toujours dans notre sujet)

K arrive à son travail. Plusieurs manifestations de l'organisation kafkaïenne du monde s'expriment durant sa journée de labeur, qui lui fait bien comprendre que la Justice des Dieux est bien supérieure à celle des hommes.
C'est un jour particulier aujourd'hui car l'on bénit toutes les machines de l'entreprise. Prières, invocations divines, peintures et encens pour chaque engin. K pense alors aux grands patrons français qui lui demandent sans cesse de la rentabilité, de l'efficacité, du "chiffre". Comment expliquer cette machinerie infernale occidentale confrontée aux puissances cosmiques phénoménales indiennes qui s'en remettent à Dieu pour le travail? Les uns servent le Dieu Or aux pieds d'argile, tandis que les autres offrent de l'or à des dieux d'argile. Finalement K se dit qu'il n'y a pas grande différence à vivre à l'autre bout du monde, c'est toujours une histoire de croyance et de dévots.
(Là encore, en plein dans notre sujet, Dieu, Argent ou Justice qui domine le Monde et le déglutit dans un courant profond )

K fait sa pause et observe une phénomène bien étrange. Le gardien est en train de procéder à un rituel bien particulier, qu'il répète plusieurs fois par jour: le balayage de la cour. L'homme balaye, fait voler encore plus de poussière qu'il n'y en a, arrose les palmiers, ramasse les ordures... pour les jeter dans la rue. Sens et non-sens de la tâche interminable de Sisyphe, ce sont là encore des reflexions qui dépassent l'entendement de K.

K rentre enfin chez lui. Il a tout le temps sur la route de faire le bilan de sa vie à un carrefour où il a failli la perdre.

Il va faire des courses et il se rend alors compte que le cours de la tomate indienne à environ grimpé de 10 roupies en une nuit. K pense bien sur qu'après tout, 10 roupies ce n'est rien. Mais payer un kilo de tomates 4 roupies un jour et payer deux tomates 7 roupies le lendemain, il y a quand même quelque chose au dessus de nous de vraiment incompréhensible auquel on ne peut que se résigner... on peut bien acheter 100 tomates un jour à 1 roupie, mais on ne peut pas acheter 1 tomates en 100 jours à 100 roupies...

Notre héros se dirige vers sa maison mais il est alors accosté par d'autres personnages de l'Histoire. On pourrait dire que celui-ci est l'Avocat du Procès.
D'ailleurs, la première question que l'indien lui pose est: quel est votre nom?  K se dit bien qu'il y a encore des puissances qui le dépasse, un complot qui se trâme. Qu'est ce que ca peut bien lui faire à cet indien de savoir qu'il s'appelle K? Tel le policier venant arreter le personnage de Kafka, cette question n'appelle même pas de réponse, car on sait bien que l'indien s'en fout completement de son prénom. Mais c'est le pretexte pour engager une conversation des plus kafkaïenne pour le coup:

-What's your name?
-Marie
-Ah Maret ! ok, nice to meet you Maret
-No, not Maret , Marie
-Ah ok, ok. Maret. Where do you come from?
-France
-English?
-No France
-Ah London, New York
-No France, Paris
-Parrys? (c'est un quartier de Chennai) You come from Parrys?
-No, France, I'm French, Frrrrance
-Ah! Comment allez-vous?
-Bien, merci et vous?
-Voulez-vous coucher avec moi? ah ah ah
-Non, merci
-Ah ah. and are you married?
-No
-Oh you are gay?
-No, non plus
-Do you like India?
-Yes, yes
-What do you do in India?
-I'm student
-What do you study?
-Architecture heritage
-hein hein (ca ca veut dire, "je sais pas ce que c'est, mais de toute facon je m'en fous, comme toutes les autres questions que je te pose")

Les conversations sont rarement aussi longues, et peuvent varier (à part les deux premières questions)  et peuvent finir très souvent par une question sur le taux de change du dollar en roupies.

K se dit alors que vraiment, il n'y comprend rien, que les hautes sphères de la connaissance de l'Homme le dépasse. Car tous les indiens lui demandent comment il s'appelle, et que par voie de conséquence, soit les indiens sont attachés à connaitre le nom de leur 6 milliards de confrères, soit ils répertorient les noms pour le grand complot.

K ne finira pas executé à la fin de son voyage, mais peut-être bien les mots de sont prédécesseur littéraire lui résonneront toujours aux oreilles: "Comme si la honte devait lui survivre".
Honte de ne pas comprendre ce grand mécanisme de la Vie, honte de ne rien pouvoir faire dans cette absurdité ambiante, honte de n'etre que ce K parmi tous ces cas particuliers.




Et oui, la fin se devait d'être triste, sinon j'aurais pas une bonne note, il fallait quand même montrer la fatalité.
N'empèche, que exercice littéraire à part, l'Inde, comme Le Procès de Kafka fait bien réfléchir à la limite entre le juste et l'absurde, à la frontière entre la culpabilité et la domination, au passage entre l'incompréhension et la lumière. Et comme le livre, on se demande au moins une fois dans sa vie, quel peut bien être son sens. 


(j'alterne les articles poilants et grincants, pour me faire chouchouter dans 4 jours en revenant en France, pour pas qu'on croit quand même que la vie en Inde est facile, y'a pas de camembert, ca peut pas être que le pied ici!)


 

 

 

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J
<br /> Whaouu!<br /> <br /> <br />
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